lundi 23 novembre 2015

Maman va bien

Ma mère m'a annoncé la nouvelle au téléphone. Au mois de mai. Je m'en souviens bien, je venais d'acheter la maison, et je lui parlais, innocente et les yeux pleins d'étoiles, de prêt et de notaire, quand elle m'a dit qu'elle devrait suivre une radiothérapie puis se faire opérer, qu'a priori ce n'était pas trop tard mais que c'était un cancer. Incorrigible bavarde, ce jour-là pourtant j'ai raccroché très vite, un peu sonnée.

Et puis, sept mois ont passé. Certainement les plus difficiles que nous ayons eu à vivre. Toute la famille s'est organisée pour qu'elle ne soit pas seule durant le traitement. J'ai passé une grande partie de l'été avec elle. Ses copines sont venues la voir, aussi, avec cet air enjoué que l'on prend devant les malades. Mais quand la malade quittait la pièce, les copines se jetaient sur moi pour me demander, sur un ton mi larmoyant mi menaçant "comment elle va ta mère? elle supporte bien le traitement? il faut que tu restes avec elle, hein, surtout".
J'ai fini par rentrer chez moi, j'ai prétexté le boulot, la maison à installer. Menteuse. J'en avais juste assez de ses copines.

Qu'il est douloureux de voir sa mère affaiblie...j'en ai perdu la voix. Je suis tombée - neuf fois - dans les escaliers. Pourtant réglée comme du papier à musique, en juillet j'ai eu mes règles, avec 10 jours d'avance, pendant 16 jours d'affilée. J'ai perdu l'appétit. J'ai dormi 12 heures chaque nuit, tout l'été, sans jamais me sentir reposée. J'ai pleuré dans la voiture, sur la rocade, à 90 km/h. J'ai eu la grippe. En octobre. Petites manifestations extérieures d'un intérieur bouleversé. Tour à tour, je me suis sentie funambule, coquille vide ou barrage sur le point de céder. Vous savez, juste avant que l'eau ne sorte en furie.

Oh, bien sûr, pendant ces sept mois, il n'y a pas eu que ça. Ma soeur a fêté ses 25 ans, j'en ai eu 29, la petite dernière de la famille a fait ses premiers pas. J'ai dansé la salsa, la polka et même la valse. J'ai fait 40 km dans la même journée sur un vélo dégonflé. J'ai raconté des bêtises, j'ai piqué des fou-rires. J'ai envoyé balader un emmerdeur. J'ai fait la nouba, j'ai eu des amants, j'ai couru sous la pluie, j'ai embrassé langoureusement un inconnu au milieu d'une boite de nuit, j'ai continué à vivre ma vie.

Si je suis si impudique aujourd'hui, c'est parce que Maman va bien. Le protocole de traitement se termine, tout s'est déroulé comme prévu. Il va lui falloir encore un peu de temps pour se remettre, mais ça va. Moi aussi, ça va. Je me suis remplumée, je n'ai plus la gorge serrée. Moins innocente qu'avant, je me sens aussi beaucoup plus forte.  J'ai même l'impression que ma voix est plus grave et que mon regard est plus dur.
Je n'aurais pas pu traverser ça sans le filet de sécurité qu'ont formé mes amis. Je les savais tout près quand j'avais le vertige et la trouille de tomber. Je sens encore autour de moi les bras gilet de sauvetage de celui qui a essuyé mes larmes, le jour où le barrage a cédé.
Les copains, je vous l'ai déjà dit, mais j'suis pas sûre d'avoir été bien claire. Je. Vous. Aime. 

Allez, promis, la prochaine fois qu'une copine de Maman me demandera comment elle va, je ne crierai pas, sale gosse, "T'as qu'à lui demander toi-même!". Non. Je lui dirai que Maman va bien.



S.






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