jeudi 23 juin 2016

En attendant ses pas

J'suis pas aussi naïve que Céline, je me doute bien qu'il ne va pas frapper à ma porte un matin, comme ça. Il aurait bien de la chance de me trouver chez moi, je n'y suis pas si souvent.
En attendant ses pas, je vis, je rêve et je respire pour moi. Je me suis inscrite sur un site de rencontres, un peu par défi, un peu pour rigoler, un peu amère en vérité. Parce que j'y vois le constat de la lose, le tic-tac de l'horloge biologique, la légère pression de la grand-mère qui va bientôt mourir (c'est elle qui le dit) et qui aimerait me voir maman - ou au bras d'un amoureux, au moins. Parce que j'ai un peu peur de ne plus savoir partager mon espace, je tiens tant à mon indépendance. Et si tout ça ce n'était pas pour moi?
En attendant ses bras, mon répertoire est rempli de prénoms de garçons. Il y a ceux qui ne passeront pas l'épreuve du premier verre. Le radin, le vraiment pas beau ou celui qui n'a rien à raconter. Et celui qui ne sait pas encore qu'il préfère les hommes. Ou celui qui tombe amoureux entre la bière et le dessert, et dont j'ai un mal fou à me débarrasser. Il y a ceux que je ramène à la maison, et que je dépose à l'arrêt de tram le lendemain en allant bosser. Parfois, il y a bien un tout début de petite étincelle, mais la plupart du temps, si je suis honnête, il y a juste le besoin de regonfler mon égo et d'entendre une voix grave râler parce que je lui pique la couette.
En attendant sa voix, je raconte tout ça aux copines. Je préfère penser que mes mésaventures les font rire, mais je sais que je les saoule un peu (pardon les filles!). Et puis on se perd avec toutes ces histoires, Arnaud c'est lequel déjà, l'avant-dernier? Non, l'avant-dernier, c'est le blond, faut suivre, Arnaud, c'est celui d'encore avant, tu te souviens, celui qui vit près de la Victoire.
En attendant ses bras, j'ai un agenda de ministre, je sors presque tous les soirs, je souris aux joggeurs, on ne sait jamais, et j'échange des signes de tête avec le pizzaïolo du coin de la rue. Il me regarde d'un air entendu, ça fait trois prétendants qu'il voit passer dans sa boutique.
En attendant ses pas, parfois je confie mes doutes, et on me répond toujours qu'il arrive bientôt, qu'il est sur le chemin. Ca m'arrangerait qu'il marche plus vite, draguer des p'tits jeunes sur Internet, ça m'amuse de moins en moins, je vais bientôt être obligée de demander aux copains de me présenter leurs potes célibataires, et ça ne va pas me faire rire très longtemps non plus, c'te affaire.
En entendant sa voix, je lui dirai enfin, te voilà. Un instant, je me ferai toute petite dans ses bras. Et  pour la suite, on verra. Il faudra qu'il soit sacrément doué, je suis assez exigeante, je ne vais pas présenter n'importe qui à Mamie.

En attendant ses pas, je vis ma vie comme je l'entends, je dors en travers du lit, je grignote debout devant le frigo ouvert, à des heures indues ou pas du tout. En attendant ses bras, je me sens parfois un peu seule, et en même temps tellement libre, qu'en entendant sa voix, je vais surement allonger le pas, pour voir s'il est cap' de me suivre.



S.

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